Il est de mode de fêter son album le plus populaire, Say It Ain’t So, en le jouant dans son intégralité pour une date anniversaire, initialement prévue pour ses 45 ans. Le plus français des anglais choisit cette magnifique salle du Théâtre Galli dans cette belle ville de Sanary-sur-Mer, pour mettre un terme à ces deux ans de »covid ». Enfin »libérés » et enthousiastes, les musiciens nous inviteront à un show de plus de 2h30 en trois parties, entrecoupées d’une pause et d’un rappel. C’est d’ailleurs le premier showman que je vois se rajouter une veste après chaque entre-acte : débutant en chemise, puis en blaser, il finira avec un manteau, sacré bonhomme ! Un gimmick pour nous faire remonter le temps jusqu’en 1975?
L’homme est en forme. S’amusant tour à tour autour de la scène ou dans la salle, rejoignant le public pour le hit One Night In Bangkok, il reste encore élégant à 75 ans. A son âge, on peut saluer la performance. Un artiste qui s’amuse avec son entourage ou parfois de lui-même. L’auto-dérision est un art que peu de gens pratiquent.
… Une performance vocale aussi. Démarrer un concert quasi a capella façon gospel, par le touchant Boy On The Bridge, n’est pas donné à tout le monde. Saluons l’audace. Si des chanteurs à succès des années 60 aux années 80 seraient recalés à coups sûr à des émissions actuelles de télé-crochets, je suis convaincu que sa voix ferait partie des élus encore aujourd’hui. Cette voix si cristalline, si expressive, flirte parfois avec la limite de la justesse comme pour atteindre cette fragilité si intense. Il module comme peu osent le faire, et ce avec ce petit voile de souffle exquis dans la voix. Tout cela maintient un charme et un suspense envoutant. Charme? L’homme a du vécu et sait jouer à l’amant désavoué pour séduire ces dames venues nombreuses ce soir, que ce soit avec son sourire ou par ses péripéties et autres questionnements philosophiques qu’il nous narre avec humour dans un français parfait .
Et même si parfois l’artiste se plante sur le démarrage d’un couplet ou sur la liste des rappels, «rouillé par ces deux ans» comme il l’admettra, ou si il se gaussera, dépité et hilare de découvrir une salle horriblement envahie de visages masqués, jusqu’à risquer de tomber dans l’escalier, tout cela apportera une touche de décontraction supplémentaire. Il sera donc difficile de ne pas se laisser embarquer par son jeu aux multiples facettes, d’autant que la qualité des chansons sont là pour donner le coup de grâce.
Interprétées par des musiciens hors pair ayant joué avec le gratin (Dire Straits, Tina Turner, Clapton, George Mickael, Caravan, Renaud, Chris De Burgh, Boy George, Sam Brown, Little Bob, Yan Tiersen, Rhodes, George Clinton, …), multi-instrumentistes, dont la mélodie swinguante reste l’objectif premier, ils nous offriront des solos donnant l’envie de se lever de ce fauteuil bien gênant. Que ce soit la claviériste-bassiste, l’envoutée Jennifer MAIDMAN, slappant à nous tordre dans ces fauteuils, ou un duo de violons à la complicité communicative entre l’expérimenté Geoffrey RICHARDSON et le jeune Harry FAUSING SMITH, le réputé Phil PALMER, au jeu très fin sur sa Fender, le classique mais pas moins dénué de feeling solo de batterie de Ally McDOUGAL ou encore, un solo de saxophone déchirant le théâtre du doué Harry FAUSING SMITH, si les jambes ne le pourront, les poils se lèveront tour à tour.
Et si la voix de Murray HEAD se suffit à elle seule, son sens du partage invitera tout du long des choeurs du meilleur effet à l’accompagner ; que ce soit sur des passages en canon ou sur la partie haute du pont de Say It Ain’t So, excellemment interprété par le décidément talentueux multi-casquette, Harry FAUSING SMITH. Tous les musiciens participent aux choeurs, ce qui donnera une certaine résonance dans le théâtre. Le public saluera la performance en se levant.
Niveau set-list, l’anniversaire me fera accepter les deux titres plus dispensables de Say It Ain’t So : When I’m Yours et Silence Is A Strong Reply qui devraient principalement toucher les anglicistes car l’accroche musicale se fait moindre ; Deux titres agréables mais un peu convenus pour un tel artiste, alors qu’il a dans son catalogue d’autres belles chansons que j’aurais aimer entendre. Du coup, jouer deux fois »notre » hymne Say It Ain’t So, est-il si indispensable, même si interprété de façon plus rock la seconde fois?
Certes, je fais là le fan pointilleux qui aimerait, passionnément mais égoïstement, imposer sa set-list. Mais c’est le jeu du report. Et quitte à faire hurler d’outrage l’ultime fan, je solliciterai aussi Madame Tolérance pour la seule chanson française du soir, l’hymne Le Sud, du regretté Nino FERRER, trop maintes fois entendue dans les bons pubs de troisième mi-temps, de karaoké ou d’émissions de télé-crochets, au point de m’en être lassé. Toutefois, vu le lieu, cette magnifique chanson se voulait indispensable ce soir, même si jouée en automne et non … en été. Mais à la place et vu le vent local, Dust In The Wind (KANSAS) ou Tournent Les Vents auraient été les bienvenus aussi car plus rares et tout aussi intenses, ou encore Latitudes Pour Lassitude dans le cadre de cette région aussi montagneuse ; et quitte à faire dans l’humour, enchainer à cause de ce vent avec une de mes préférées : Des Funambules. Je parie que ces équilibristes pêcheurs locaux parviendraient à faire du funambulisme avec ce Mistral?
Néanmoins, en sus des autres incontournables de l’album à l’honneur ce soir (She’s Such A Drag, Never Even Thought, …), on se délectera aussi dans la seconde partie du show avec le dansant Piece Of Mind, Joey’s On Fire qui met en avant ses aigus si particuliers, le baume au cœur Hold On, le léger No Mystery, le percutant You Are, les plus politisés, Countryman, Who Do You Think You Are, Corporations Corridors, ou encore sa célèbre ballade, … Il nous gratifiera aussi d’un inédit, Judge A Book, qui agrémentera encore ce long show si bon. Et du show, on en aura bien besoin avec ce froid glacial. (On applaudit le jeu de mot facile)
Malgré mes petites exigences futiles de set-list, décontraction, humour, swing, variétés vocales et instrumentales, salle magique, ville magnifique, désir fort de partage après deux ans de frustration sans concert… avec sa panoplie soul-blues-folk-gospel, tous les ingrédients étaient là pour ce retour à la vie »normale », à une soirée artistique, et y trouver à nouveau l’enchantement et la communion! … Et comme le dirait cet artiste à la carrière si spéciale : «Que ça fait du bien!»
Pas besoin d’avoir cent briques* pour offrir et partager un tel plaisir! Depuis deux ans, on n’a peut-être plus rien*, mais on ne nous enlèvera pas ça! Merci Monsieur HEAD et Messieurs-Dames les musiciens! A quelques nuits de mon anniversaire, ce concert dans cette belle cité balnéaire, aura été un beau cadeau!
* Référence au film »Pour Cent Briques, T’as plus Rien » dont est tirée la chanson No Mystery.
Genre : folk soul blues rock